L'histoire des
chalets d’alpage

Les origines (dans le Jura)

Dès le Moyen-Age, les herbages d’altitude ont été l’objet des convoitises des communes villageoises. Ils offraient de grands espaces de pâturage d’été pour le bétail, et des lieux de production fourragère.

Au IXe siècle, L’Abbaye de Saint-Claude est en possession de la quasi-totalité du Haut Jura Central. C’est par la charte de Charlemagne, quelle détient ce droit (jusqu’à la fin du IXe siècle, la Suisse fait encore partie de l'empire de Charlemagne). La chaîne du Mont-d'or est désignée par le terme de "Alpes" : Les alpages.

Dès le XIIe siècle, des prieurs percevaient déjà le fromage fabriqué dans une journée sur ceux qui menaient paître leur bétail sur les montagnes.

Au XIIIe siècle, la plupart des grands défrichements du Jura central étaient achevés, c'est de cette époque que date la fondation sur les plateaux, des premières fromageries communales "fruitières" pour la fabrication en commun du fromage , ce qui implique l'existence d'importants troupeaux de vaches laitières vivant sur des pâturages étendus et dans des pâturages boisés.

La première trace d'un chalet d'alpage date du XVe siècle; Guy d'Usier abbé de Saint-Claude (de 14Э9 à 1442), accense (concession d'un bien, moyennant redevance) les prés de la Joux de Saint-Cergue, aux habitants de Trélex, commune de la plaine Suisse "pour faire une fruitière sur la montagne". En contrepartie, la commune lui paye divers tributs.

Durant le XVe siècle les alpages vont se multiplier, ils sont loués par l'autorité ecclésiastique ou seigneuriale qui possède le sol à des communautés villageoises. A cette époque, ils sont plus étendus qu'actuellement : Ils ne se limitent pas aux prairies alpines des hauts sommets, mais s'étendent aussi sur les vallées.

Ancienne presse a fromage

Désormais des communautés villageoises y envoient leurs troupeaux communaux, et en tirent comme "fruit" le fromage, fabriqué dans le chalet commun (très rudimentaire), par le berger : c’est une entreprise communautaire, à laquelle on donne le nom de fruitière.
Le mot "fruitière", au XVe et au XVIe siècles, désigne donc les alpages communaux ou particuliers, mais aussi les associations fromagères des villageois des plateaux, qui s'unissent pour fabriquer, à tour de rôle, un fromage commun.

En 1536, Genève, menacée par le duc de Savoie, est dans une situation désespérée. Berne vient à son secours, avec le désir d’y voir triompher la réforme. En quelques jours son armée se rend maîtresse de l’ensemble du canton de Vaud. La haute Chaîne Jurassienne, et ses grandes forêts monastiques, passent sous sa coupe. Le nouveau gouvernement Bernois, loue "les montagnes" nouvellement conquises à des communes, ou à des particuliers de confession protestante. Bien des alpages actuels doivent leur nom aux communes de cette époque.

Au XVIIe siècle, le mot "Arpage" désigne l'abergeage (Contrat primitif des premières concessions) de l'herbe qui croît sur les plus hautes montagnes, avec la faculté d'y construire des chalets d'alpage pour y faire des fromages.
Les chalets n’avaient pas d’étage, ni même de cheminée. La fumée montait directement jusqu’au toit, probablement qu’elle s’évacuait aussi par les petites ouvertures et la porte. Les bergers dormaient sur une litière à l'écurie, parfois dans une pièce du bas, aménagée en chambre à coucher. Le pâturage était entouré d’un muret de pierres sèches.

Du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle

Anciens couverts de berger en aluminium

En patois, il est nommé «lou tsâle» (le chalet)

Les chalets sont toujours des bâtiments de pierre, avec des toits en tuiles de sapins (tavaillon ou tavillon). La cheminée y a fait son apparition. Un étage leur a souvent été ajouté, il permet de gagner de la place pour le couchage des bergers.
L’espace est divisé en trois : une partie abrite les hommes (c’est ici que l’on fait le fromage), une autre sert de cave à fromage, et les étables occupent le reste du bâtiment.

Les restes du plus ancien chalet Suisse se trouvent à la Gamsbodenalp, sur la route du Saint-Gothard, en dessus d’Hospental (du IXe siècle). Dans le Jura Suisse, aucune construction antérieure au XVIIIe n’a survécu. La plus ancienne connue date de 1712. Tout semble indiquer que l’ensemble des chalets aurait été reconstruit à partir des années 1700 (période où apparaissent l’étage, et la cheminée extérieure). Il est possible, que ce soit la "révolution du gruyère" dans les alpages du Jura Vaudois, qui soit à l’origine d’une mutation architecturale.

Auparavant, on suppose que le Jura Vaudois ne produisait que des tommes de vache, ou des fromages cuits, désigné sous le nom de "vachelin". Mais la nouvelle technique de production (la confection de grandes meules de gruyère), a probablement entraîné le besoin de locaux plus grands, permettant notamment l'aménagement indispensable d'un "laitier" (nom de la grande cuisine dans un alpage), et d'une cave à fromages à température stable.

L’architecture type d'un chalet d'alpage

Vieux outils de charpentier

La maçonnerie est constituée de pierres liées par un mortier de chaux. Un crépi recouvert parfois d'un badigeon, également à la chaux, protège le mur contre les intempéries. Malheureusement, depuis l'introduction du ciment, vers le début du XXe siècle, la chaux a été remplacée par ce nouveau liant (inadapté aux murs anciens).

La charpente est du type à colonnes. Les poteaux supportant la panne faîtière et les pannes intermédiaires reposent directement sur le sol. Des sablières placées sur les murs extérieurs supportent les chevrons. Un avant-toit important (entre un et deux mètres) abrite la façade Sud Est.
Il protège les portes d'entrées contre les intempéries. On y range le bois pour le feu et divers objets. Les chevrons étaient recouverts par un lambrissage ajouré sur lequel on posait les tavillons ou les bardeaux. On peut encore en observer sous la plupart des couvertures actuelles en tôle.

L'intérieur

Le chalet comprend les locaux de fabrication et le logement des bergers dans la partie Est, les étables à vaches appelées "écuries" au centre, et celles des porcs, le "boiton", à l'Ouest, ou dans une construction annexe.
Les parois de séparation entre les différents locaux du rez-de-chaussée sont en maçonnerie. Les accès au bâtiment consistent en :

  • Une porte d'entrée débouchant dans la cuisine. Son encadrement est généralement en calcaire appareillé à linteau droit.
  • un minimum de deux portes "d'écuries" plus larges en calcaire appareillé, fréquemment en forme d'anse de panier.
  • Les fenêtres ont également un encadrement en calcaire. Elles sont rares; le plus souvent, une seule grande fenêtre éclaire la cuisine. "L'écurie" est aérée par de petites ouvertures. La chambre à lait est ventilée par des fentes verticales étroites appelées "larmiers" ou "bornatses"; la cave à fromages est éclairée et aérée par une petite ouverture de forme carrée.
  • les chambres à coucher sont situées à l'étage dans les combles, elles sont éclairées par de petites lucarnes. Dans le cas d'une toiture à deux ou trois pans, des ouvertures ont été percées dans le mur pignon.
Foyer d'alpage ou creux du feu

Les couches de "l'écurie" sont constituées par des planches posées à même le sol; les bêtes sont placées en rangs, le plus souvent deux groupes de deux rangs opposés et séparés par une rigole permettant l'évacuation du lisier.

Le foyer et la cheminée sont généralement disposés entre les deux portes du mur de séparation cuisine/écurie. Il y a deux types de hottes :

  • la hotte pyramidale en bois, couverte à l'origine par un ou deux auvents mobiles, permettant de régler le tirage.
  • La hotte maçonnée de même forme, mais de dimensions plus réduites, surmontée par un canal de cheminée.

Sous la cheminée, le foyer ou "creux du feu" est limité, par un petit muret semi-circulaire d'environ 50 centimètres de hauteur. Dans la plupart des chalets ces aménagements ont disparu pour faire place à un fourneau.

Le chalet (et ses équipements), les pâturages, la forêt et ses murets d’enceinte, forment un ensemble que l’on nomme communément une "montagne".

Aujourd’hui, les conditions économiques font que les chalets du Jura Vaudois ne sont plus des lieux de production fromagère (à l’exception de quelque rares chalets). Aussi a-t-on pris l'habitude de n'envoyer sur les alpages que les jeunes bêtes, les génisses, car leur gardiennage est beaucoup plus simple et moins coûteux.

Les murs de pierres sèches